• Retour à PLATON

    Je ne crois pas aux "desseins providentiels" cachés derrière ce qui apparait comme de pure coïncidences, ou plutôt je n'arrive, ni ne désire, donner un sens rationnel à une telle thèse; par contre je conçois tout à fait la nature de ce que l'on appelle (Bouveresse notamment) "Zeitgeist", ou "Esprit du temps".

    C'est une des leçons que l'on peut retenir de Badiou que l'actuel esprit du Temps, qu' il caractérise comme "matérialisme démocratique", est antiplatonicien et dévalue complètement la doctrine des Idées.

    Aussi n'est donc non pas non plus un hasard fortuit si parmi ceux qui veulent lutter contre les fruits vénéneux de ce esprit du temps se développe un recours, sinon  un retour, à Platon.

    C'est ainsi que le séminaire de Badiou portera cette année sur le thème : "Pour aujourd'hui : Platon". Premières séances prévues un mercredi par mois , les 24 Octobre, 21 novembre, 5 décembre, de 20 heures à 22 heures, à l'Ecole normale supérieure, 29 rue d'Ulm salle Jules Ferry (entrée gratuite et libre).

    Il s'agit de consacrer Platon comme guide dans l'ambiance actuelle de "désorientation de la pensée" et de nihilisme, à la fois consumériste et terroriste-religieux.

    Il va sans dire que pour moi qui me réfère sans cesse à l'idéalisme mathématisant de Brunschvicg, Platon apparait comme un recours naturel.

    Mais l'on sait que Brunschvicg distingue deux Platons que tout oppose, comme d'ailleurs deux Pythagores, ou plutôt deux lectures de ces oeuvres : un Platon "mathematikos" et un Platon mythologue, une lecture de Platon selon l'Un et une lecture selon l'Etre, correspondant à la scission entre les élèves de Pythagore entre "mathematikoi" (ancêtres des scientifiques) et "akousmatikoi" mystiques.

    Nous ne saurions revenir là dessus sans retomber dans la tentation éternelle de la mystique ; mais un fait nouveau est ma prise de connaissance qu'une autre orientation que celle de Brunschvicg est possible, et qu'elle existe sur un mode argumenté, et quelle argumentation ! et cela sans céder d'un pouce sur le refus de la mystique ou de l'irrationalisme qui a formé le terrain de l'opposition à Platon depuis plus d'un siècle, que celle ci soit nietzchéenne ou heideggerienne.

    Je fais ici allusion au prodigieux ouvrage de Charles Singevin : "Essai sur l'Un", publié en 1969 dans la collection "L'ordre philosophique" des éditions du Seuil, à cette époque où cette collection était dirigée non pas par Badiou mais par Paul Ricoeur et François Wahl.

    Un ouvrage qui est depuis longtemps épuisé, mais que j'ai réussi à me procurer il y a quelques temps par un heureux concours de circonstances.

    Le platonisme est vu par Singevin comme vérité de la philosophie et comme philosophie de l'Un, ET en même temps comme philosophie de l'Etre au regard de l'Un. On pourrait donc dire que Singevin est beaucoup plus proche de Badiou que de Brunschvicg, en tout cas par sa façon de "ne pas laisser tomber" l'Etre, l'ontologie, qui est on le sait chez Badiou la mathématique (des ensembles).

    Chez Brunschvicg l'ontologie est complètement dévalorisée au profit de l'hénologie, et l'on pourrait dire que la mathématique (et non plus seulement la théorie des ensembles) est, sur le plan de la pensée et non pas de la pure technique du calcul, cette hénologie, cette doctrine de l'Un.

    Singevin s'oppose frontalement à Brunschvicg et au cartésianisme de celui ci en ce qu'il maintient la position d'un ordre mathématique idéal "avant" les Idées, et plaçant celles ci en consistance sous la garde de l'Un qui est une Idée mais différente des "autres Idées" qui sont "les autres", uns-plusieurs : soit Un = Idée du Bien, ce "Bien" qui chez Platon est située "epekeina tês ousias", au delà de l'Essence. Brunschvicg par contre considère que la naissance de la science et de la philosophie moderne avec la "Géométrie" de Descartes, constituant l'Univers comme "réseau d'équations" (ou de morphismes dans des catégories, dirions nous de nos jours) a ruiné et déconstruit cet ordre mathématique idéal qui était chez Platon une concession aux facilités de la pensée mythique-mystique, c'est à dire mystifiante.

    Citons Singevin (pages 304 et suivantes):

    "Le cortège de nombres-Idées et des Figures idéales précède ontologiquement le choeur dialiectique des Idées. Or qu'adviendra t'il si l'on retire, comme il le faut depuis la constitution de la Géométrie analytique (chez Descartes, note de moi) cette préséance d'un ordre mathématique idéal ? beaucoup plus que la ruine de l'astronomie et de la cosmologie des anciens, beaucoup plus que les critiques d'Aristote, c'est là surtout ce qui semble mettre si insurmontablement loin de nous les enseignements platoniciens. Au point que ce qu'il est convenu d'appeler idéalisme dans les Temps modernes n'a presque plus rien à faire avec l'idéalisme antique; ce n'est plus sur la contemplation de réalités objectives, indépendantes de la pensée, mais sur l'activité de l'esprit qu'il pose l'accent".

    On reconnaitra dans ces derniers mots la position de Brunschvicg, qui caractérise cette activité de l'esprit non pas comme conceptualisation, mais comme jugement absolument autonome.

    Singevin précise aussi un peu plus loin (page 306):

    "Une philosophie comme celle dde Brunschvicg, qui tire les conséquences de l'abolition que la Géométrie cartésienne accomplit de la Mathématique idéale, ne pourrait donc qu'en revenir à cet Un qui s'échappe perpétuellement de lui même et à lui même en tant qu'Un"

    en d'autres termes : au lieu d'une contemplation "immobile" de réalités éternelles, une philosophie de l'Un qui se constitue dans le Temps de l'Histoire mais se constitue "éternellement", sans fin possible ni assignable, selon un progrès incessant d'une adéquation de plus en plus parfaite d'un réseau d' équations, selon des normes de vérité de plus en plus parfaites elles aussi.

    Le débat est posé clairement... du moins je l'espère Clin d'oeil

     


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